Lundi 10 février 2020 : Suite de Réflexion à propos des différences d'amplitude importantes de la rivière Allier (par Jean-Christophe Grossetête)
D’où vient et où va l’eau qui passe au pied d’Embraud ?
Les anciens appelaient les rivières « les chemins qui marchent », pendant très longtemps les hommes les ont empruntés pour se déplacer et utiliser cette énergie pour transporter des marchandises, d’abord du haut pays vers les contrées d’en bas, à bord de nacelles à usage unique puis en mettant au point différentes techniques pour aller dans l’autre sens, comme le halage, les avirons, la voile, les machines à vapeur, le touage puis les moteurs… Il convenait d’avoir un niveau suffisant porter bateaux sur les eaux marchandes, soit pour la rivière Allier, une centaine de jours par an, de l’automne au printemps. Le chemin de fer, plus performant à bien des égards, sonnera la quasi disparition de cette histoire, remise en partie au goût du jour à la fin du siècle dernier par le mouvement culturel « vieux gréements » et des passionnés qui en de nombreux sites, dont Embraud relanceront la fabrication et l’usage des bateaux renouant et renouvelant les savoirs faire et les pratiques.
Sur le bassin ligérien dont l’Allier est un membre important il y avait à cette époque encore quelques références en la matière comme les pêcheurs professionnels et entre autres les Benoit de Gimouille ou des constructeurs de bateaux comme Guy Brémard installé à Rassay en bord de Vienne, à l’origine de beaucoup des bateaux de la flotte des Chavans et diverses initiatives, dont celle de Vent de travers, de Quintal Double, du groupe Ellébore, etc… pour réanimer avec un objectif culturel et de loisirs cette marine fluviale. Le Projet d’Action Educative du lycée agricole de Neuvy avec la construction et les multiples navigations de la B’rdine et de la Tortine s’inscrivait bien, à sa manière dans cette perspective et a sans doute contaminé le Bourbonnais.
En tout cas, pas d’école où apprendre les gestes, certes des documents et des illustrations mais l’absolue nécessité d’expérimenter sur le terrain, de tâtonner jusqu’à ce que l’efficacité puis l’esthétique confirment les autodidactes de la justesse de leurs « études ».
Les bateliers Chavans et Cap’taine Manu dès la fin des années 1980 et à force de pratiques sur bientôt 30 ans en connaissent très bien les parties qui sont de part et d’autre de leur porte et notamment le segment Moulins-Apremont et il n’est pas rare qu’ils circulent à l’amont à partir de Châtel-de-Neuvre ou Monétay et en aval sur le fleuve jusqu’à la Charité-sur-Loire, voire Orléans et au-delà, qu’on les trouve à l’œuvre à Nevers ou à Decize à l’occasion d’un événement festif.
Mais la rivière est sauvage, divague dans son lit et il faut sans cesse réactualiser ses connaissances et s’adapter aux nouveautés. Poussés par la curiosité et la nécessité de savoir comment c’est au-delà, ils ont même réalisé à bord de différentes nacelles, l’avalaison sur la totalité du voyage des parcours historiques vers Nantes, dont ils ont relaté l’aventure et les péripéties dans le blog, en plusieurs épisodes étalés sur plusieurs années.
Ils se sont embarqués à l’amont, en 2012, pour découvrir et parcourir en quatre jours, à bord du bachot Mathilde et des fûtreaux La Gabrielle et Fût-de-Trop, les 136 kms de ce premier segment de la rivière à partir de Brassac d’où l’on chargeait du charbon des mines locales à bord des « gabares » pour l’envoyer au fil du courant vers l’aval. Billy sera la destination de ce voyage délicat, car dans ce secteur, la rivière occupe par un débit moyen (c’était le cas) avec une lame d’eau réduite un lit étroit, parfois encombré d’arbres, chablis ou rachats qui peuvent obstruer et rendre le passage en bateau très périlleux, d’autant plus que le courant y est fort.
Les bateliers dans ces conditions n’ont pas beaucoup de temps pour choisir et réaliser une option et passer sans dégât au-delà des obstacles. Ajoutons à cela une alternance de passages rapides où des hauts fonds peuvent cacher des pièges casseurs de bateau,
et des « calmes » bienvenus pour récupérer et anticiper des efforts. A Brassac, l’Allier sorti de ses gorges à Vieille-Brioude, coule dans les limagnes qui se succèdent jusqu’au Val-d’Allier.
Si naviguer dans les gorges est exclu pour nos bateaux, sauf pour Bibi qui l’a fait à bord d’un bachot dont il était le facteur, les amateurs de rafts, d’hydrospeed, de canoés et les kayakistes s’y régalent notamment en profitant des lâchers d’eau du barrage de Poutès-Monistrol, aujourd’hui fort heureusement en cours d’une reconfiguration plus compatible avec la vie normale d’un cours d’eau, qui plus est rivière à saumons.
En mai 2011, en 3 jours l'équipage des Chavans avait réalisé à bord de Hors du temps et Tresse-Allier, avec pas beaucoup d’eau le parcours aval entre Billy et Château. Une autre fois, ils ont rejoint le festival de Loire d’Orléans en septembre encore avec pas trop d’eau, il a fallu franchir le seuil des Lorrains à l'aval d'Apremont, puis la passe à poissons au milieu de rochers au Guétin. Une autre fois, abandonner pour cause de tempête, à rien de Nantes où crue + marées océanes + vent contraire se sont conjugués pour heureusement les dissuader de braver les éléments et écourter l’ultime étape, bien que sous la protection de Saint Nicolas, qui aurait eu bien à faire s’ils en avaient décidé autrement. Maintenant pour aller vers un point d’embarquement lointain ou revenir au port d’attache ça se fait en camion-grue !
Les lecteurs fidèles du blog ont suivi ces aventures reportées au fur et à mesure de leur déroulement ; ils peuvent y revivre les émotions et plein d’anecdotes en consultant les archives et sont régulièrement informés de la vie des bateaux et de l'équipage qui fournissent abondamment de la matière…
On parlera ponts, bacs, occupation des sols, biodiversité ultérieurement.
Jean-Christophe Grossetête
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