Hors du Temps, le grand futreau de la Chavannée possède une histoire avant de connaître les rives bourbonnaises de la rivière Allier.
En décembre 2003, entre Noël et jour de l’An, lors d’une grande crue, un inattendu voyage entre Briare et Château-sur-Allier a dû être organisé. Le texte suivant, écrit par Jacques Paris, traduit les ultimes étapes de Loire et d'Allier.
Les deux volets de l'écluse, la dernière du canal latéral, juste avant le fleuve, s'ouvrent lentement. La Loire, géante et sauvage, soudain présente, dévale à angle droit, masse de flots gris et bruyants. Rien de bien engageant pour l'équipage réduit à deux bateliers qui tente de conduire le "Hors du Temps" jusqu'au seuil des Lorrains, en espérant que l’eau, là-bas, sera assez haute pour passer l'obstacle, le dernier et le plus redouté. L'éclusier, à la différence de ceux rencontrés jusqu'alors, de Briare à Saint- Thibaud, puis de Marseilles-les-Aubigny au Guétin, ne manifeste aucune bienveillance. A la question : "à combien estimez-vous le temps qu'il va nous falloir pour gagner le Guétin ?", il répond en maugréant : ... "Combien de temps pour aller au fond ?" Des mots qu'on se refuse à écouter, des mots qu'on aurait voulu autres...
La barre à droite, à mar, comme on dit, le moteur, fidèle et têtu, tel un animal, ronronne, imposant sa force modeste et résolue aux courants d'eau que la "cabane" remonte. D'habitude, c'est le ciel qui donne ses couleurs à la rivière, ici, sur le fleuve, c'est un vert jaune d'oeufs pourris qui gagne les nuages et les vents. La masse d'eau est aussi large que l'horizon, là-bas, tout droit, où débouche la grande coulée de lave aux reflets de cuivre et d'acier que rien ne saurait contenir ou stopper, sous un ciel bas et tourmenté.
Perdu au milieu de cette immense étendue d'eau, le bateau semble une coquille de noix qui remonte vers le Bec : à l'intérieur de l'habitacle de planches, à l'abri du vent et de la pluie, l'oeil rivé au plus loin, on se tait. Et l'on pense. On se sait à l'extrémité d'un long tapis qui se perd de chaque côté du fleuve dans les veurdiaux dont on ne voit que des hauts de branches, là où le flot déborde sur les deux rives, dans les prés et les terres du Berry et du Nivernais, face à face. Et les idées se bousculent : "Que faire si le moteur s'arrête ? Tenter de ramer, mais vers quelle rive, alors que l'eau semble ne plus avoir de limites ni de bords où toucher terre". Enfin, du côté de Marzy, juste avant la confluence, un chemin ou une route longe la Loire et lui donne un tracé plus rassurant, un chemin vers lequel il serait possible, si nécessaire, d'accoster. Au Bec, l'eau de l'Allier, la rivière familière, clapote et claque sous le bateau, impatiente de grossir de sa nouvelle crue le volume de la Loire qui dévale vers la Charité.
La nuit tombe. Les lumières s'allument au long de la digue du Guétin. La toue de Bibi, ancrée, se détache sur le ciel, silhouette sympathique, avant-dernière étape : demain, le "Hors du Temps" franchira de justesse les Lorrains, une ou deux frayeurs supplémentaires, jusqu'aux sifflets lancés de la toue, à l'arrivée, au bas d'Embraud, sous l'oeil ravi d'un paysage non blasé, rue de la Chaîne, chez nous, à Château.
Embarquez en images sur hors du Temps et en musique avec La Chavannée (Bateau Doré)...