Le 1er janvier dernier, nous évoquions l'indéniable présence des castors à quelques encablures d'Embraud. Jean-Christophe Grossetête, notre correspondant naturaliste, évoque avec talent sa disparition et son retour sur la rivière Allier...
A dire vrai, même si les riverains de l'Allier aujourd'hui les plus âgés, ne l'ont pas connu pendant presque tout le XXème siècle, il était depuis plus que belle lurette un des hôtes familiers de notre territoire... En atteste, la Bieudre, l'affluent de la rive gauche entre Le Veurdre et Château-sur-Allier, dont le nom est tout bonnement une appellation populaire ancienne, à l'instar de Bièvre ou Beuvron, de Castor fiber, le castor européen.
Taille en crayon caractéristique
Longtemps pourchassé pour sa viande, sa fourrure, son castoréum, aussi ses pratiques alimentaires de rongeur arbrivore et les primes données en contrepartie de sa destruction, il avait fini par être quasiment éliminé de partout en France, à l'exception d'une très petite population relictuelle, cantonnée dans l'extrémité méridionale du cours du Rhône, en Camargue. Heureusement, pendant le XXème siècle, la mentalité des hommes à son égard a favorablement évolué, pour arriver maintenant à le considérer comme une richesse patrimoniale, et l'exclure des convoitises de la chasse depuis 1987. Parallèlement, des initiatives essentiellement originaires des associations naturalistes ont réintroduit dans d'autres secteurs potentiellement favorables, le plus souvent avec succès, des individus prélevés sur le Rhône. Parmi ces opérations, l'une des toutes premières dans les années 70, celle concernant l'axe ligérien à partir des environs d'Orléans, fut une grande réussite, puisque de proche en proche, le castor recommençait à fréquenter l'Allier à la fin des années 80 et qu'entre autres, Manu, René Auclair, moi-même repérions des indices de sa présence incontestable à l'aval du Veurdre et les signalions à Christian Bouchardy, alors réalisateur pour FR3 Auvergne d'un magazine Nature hebdomadaire, qui en fit le sujet de l'un d'eux, au début des années 1990.
Jean-Christophe et Manu au début des années 90 sur les traces du castor fiber (photo christian bouchardy)
Depuis les castors se portent plutôt bien puisqu'ils ont aussi recolonisé la rivière et ses affluents bien plus loin, en amont de la confluence avec la Sioule, puis la Dore, l'Alagnon...
Mammifère amphibie, bien plus à l'aise dans l'eau que sur terre, il faut selon la richesse du milieu entre 1 km et 2,5 kms de rivière et de rives pour constituer l'espace vital pour une famille de 4 à 8 membres, qui se compose d'un couple géniteur et des petits de l'année, ceux des années précédentes étant priés puis sommés de déguerpir pour faire fortune plus haut, d'où la relative vitesse de retour de ces animaux dans un milieu dont ils avaient été éliminés. Opportuniste, à la différence des castors américains il construit peu de barrages pour aménager selon ses besoins son environnement, s'installe dans les embâcles formés par les crues, qu'il utilise comme logis, à condition que l'entrée en soit constamment immergée et donc, y compris pendant les étiages sévères, avec une « garantie » de disposer d'autour d'une soixantaine de centimètres de hauteur d'eau. Rongeur, végétarien, il se nourrit d'herbes mais surtout de feuillages, de bourgeons et d'écorces d'arbres et d'arbustes qu'il se procure sur les rives parmi les bois blancs et tendres (bouleaux, saules, peupliers, frênes...) ou plus durs comme les aulnes, les chênes, ou les ormes qui y abondent. Comme il n'est pas grimpeur, sa méthode de prédilection consiste, le plus souvent installé assis (ce qui donne une bonne indication de ses mensurations), à sectionner avec ses puissantes incisives, en sifflet ou en crayon, selon la taille de leur diamètre, des tiges, qui ainsi jonchent le sol ou la rivière et qu'il débite en petites sections puis « boulotte » sur place ou qu'il transporte vers ses mangeoires et ses réserves. De telles pratiques laissent des traces ostensibles pour un observateur attentif, tant sur les souches, qui vont d'ailleurs très vite recéper à foison augmentant pour le futur les disponibilités alimentaires, que sur les parties consommées. Elles sont parfaitement épluchées et écorcées et vont rester sur place ou voguer au fil de l'eau, car il n'en consomme pas le bois. Afin de surtout user et réguler la pousse permanente de ses incisives, il s'attaque à des arbres à bois plus dur et plus considérables en taille, qu'il entame ou finit par faire tomber mais dont il n'utilise que très partiellement les disponibilités sans doute beaucoup moins savoureuses que la multitude de « tendretés » dont il dispose alentour. Les coulées qu'ils empruntent pour sortir de l'eau ou pour y retourner sont elles aussi des marques évidentes de leur présence.
Traces d'incisives sur un peuplier monumental
Ils sont pour le reste très discrets, souvent nocturnes pour passer encore plus inaperçus et ne s'éloignent que de quelques mètres des bords de l'eau. Les ripisylves sont peu faciles à fréquenter par l'homme, du fait de leur luxuriance et de l'abondance de chenaux plus ou moins secs comme la rivière elle même, qu'il faut naviguer avec une embarcation appropriée et un certain savoir faire. Cet état des choses leur procure quiétude, gîte, couverts et territoire. Ils sont donc assez tranquilles, n'ayant par ailleurs pas à craindre pour le moment de prédateurs naturels significatifs et disposant d'un environnement très largement suffisant pour qu'ils satisfassent leurs besoins, sans beaucoup nuire aux activités humaines. Depuis bientôt trente ans ils tiennent leurs postes, familiers des bateliers chavans et personne ne déplore cette situation qui participe à l'entretien des rives et à un meilleur écoulement des eaux, notamment pendant les crues en activant ou réactivant des bras de la tresse du lit de la rivière.
Revenus et bienvenus !
Jean-christophe Grossetête
Janvier 2016