La 31ème édition du Grand Prix Allen qui a eu lieu le samedi 8 octobre dernier a récompensé Estelle Cournez, Directrice du Conservatoire des Espaces Naturels pour le livre "Sur les traces de l'Allier, histoire d'une rivière sauvage". A cette occasion, plusieurs prix ont été décernés pour souligner la multiplicité des contributions autour de la valorisation de cette rivière.
Manu Paris, au nom de la Chavannée et de son action de recherche et de mise en lumière de l'ancienne batellerie de l'Allier, a reçu ce Prix Allen 2016. Ci-dessous, le discours prononcé ce jour en la chapelle de l'Hôtel de Paris à Moulins (photo C Oberto).
Dans les années 80 (j’avais 14 ans), dans mon village de Château-sur-Allier, la rivière provoquait la plupart du temps grand désintérêt ou inquiétude, toute l’alchimie de ma curiosité.
Mes premiers « voyages » s’effectuent sur des matelas gonflables et percés ! Mais tout de suite c’est la grande aventure, chaque courbe, chaque remous, augurent beauté ou frisson.
Aujourd’hui, alors qu’il est du meilleur effet de rejoindre en avion un fleuve du bout du monde, d’Amérique ou de Patagonie, j’ai trouvé au pied de chez moi quelque chose d’intense à vivre, c’est plus que luxueux !
Fort d’un savoir identitaire que nous avons peu à peu collecté et expérimenté ces dernières décennies au sein de La Chavannée, fort aussi d’une éducation de partage et de bénévolat absolue, j’ai compris dès la fin de l’enfance tout ce que m’offraient la vie associative et les lieux mêmes de nos existences, pour être heureux là où on habite…
D’où l’intérêt pour nos musiques, nos instruments – je suis sonneur de grandes cornemuses - le chant traditionnel des mariniers et paysans - je suis chanteur - l’art des bateliers au fil de l’Allier que je partage avec des garçons et filles qui se lancent dans le courant, au bas d’Embraud ou à la remonte, quand la grand’voile de nos futreaux se déploie dans le vent de galarne.
Je ne peux que militer pour la camaraderie et la création au sein de notre association de Chavans et donner gloire à nos paysages et à notre histoire. Il y aurait tant à dire, malgré la réalité d’un quotidien qui exclut des activités fausses – pas de place à Embraud pour le semblant et le théâtre de carton-pâte, encore moins sur la rivière Allier qui ne triche jamais et demande une vigilance de toute une année. Je suis ici au nom de mes amis bateliers, musiciens, historiens, poètes, artisans, je suis ici – et ce n’est pas la moindre mission – au nom de nos anciens.
Comme il ne nous suffit pas de retrouver les gestes et les savoirs, chaque année ou presque, nous nous embarquons au fil de l’Allier et la Loire, à l’ancienne, à la manœuvre de nos bâtons ferrés, dans l’espoir d’instants et d’horizons lumineux. La rivière devient alors une fabuleuse machine à remonter le temps, celle qui rend acteur et précise la réalité d’hier.
Pour mieux partager, depuis trois ans, chaque samedi matin, lorsque la rivière est marchande, nous invitons comme la belle formule l’exprime «à entrer en bateau», sur notre grande toue de 13 mètres, un public de qualité (je veux dire hors du tourisme de masse), très désireux d’en savoir plus sur l’histoire de ce passé fluvial.
Entrer en bateau, c’est entrer dans un espace réservé, dans une autre histoire, le symbole est fort. Quand l’ancre est levée, le silence domine toujours de longues minutes, c’est être quelques instants à l’envers des choses, ce n’est plus la rivière qui passe mais les prairies du bocage qui défilent comme au cinéma, rythmées de loin en loin par des fermes ou manoirs qui toisent la vallée depuis si longtemps.
Lorsque nous remontons la rivière, l’hiver par le vent du nord ou de bise, il est courant d’écouter cette remarque sur le fait qu’il ne doit pas faire très chaud à bord. Etre avec le vent est une chose toute curieuse, puisque les effets qui le traduisent disparaissent à cet instant, reste que nous sommes embarqués et conduits d’une force surnaturelle capable de contrer ces flots dévalants. Notre mât (des bois de Champroux) devient alors une antenne vers cette fabuleuse histoire de marine intérieure.
Pour conclure, je ne peux qu’inviter l’assistance à nous rejoindre à Embraud l’après-midi du jeudi de l’Ascension pour la Fête de la Rivière qui existe depuis presque 25 ans, montrant là notre constance et à la Maison de la Batellerie, au Veurdre, où nous avons regroupé un temps d’histoire original, évoquant la fabrication des futreaux, toues et chénières par des charpentiers en bateaux, forts réputés en ce lieu.
Notre blog Hors du Temps relate chaque semaine toutes ces initiatives batelières.
Je terminerai par cette magnifique et célèbre citation de Marcel Proust, qui résume à elle seule ma conscience : Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux.
Je remercie Estelle Cournez, ici présente, d’avoir souhaité que je sois à ses côtés pour ce grand jour. Nous avons, ensemble et c’est l’occasion de notre rencontre, partagé une descente de rivière magnifique et mémorable pour cette célèbre émission Des Racines & des Ailes. Merci à tous